Le métavers au cœur des études sur les médias
Par Lisa BÉGOUIN et Josselin LUCKÉ
Mardi 27 juin 2023, le Centre Panthéon de l’Université Paris-Panthéon-Assas accueillait une journée d’étude intitulée « L’avenir de la médiation technologique dans le journalisme et les médias ». Universitaires français, étasuniens et brésiliens étaient rassemblés pour traiter des sujets de la réalité augmentée et du métavers. Un événement organisé par le CARISM, en partenariat avec l’École de Communication et des Arts de l’Université de São Paulo (ECA/USP), avec le soutien du Labex ICCA et de la Chaire PcEn.
L’articulation entre innovation technologique et la pratique journalistique
Sophie BALCON-FOURMAUX et Franck REBILLARD de l’Université Sorbonne-Nouvelle se sont notamment focalisés sur l’immersion de la réalité virtuelle au sein du monde médiatique. Stade 2, l’émission mythique du groupe France Télévisions, dispose désormais d’un plateau doté de la réalité augmentée permettant d’accueillir des sportifs représentés par des avatars. Également en projet, une possibilité d’immersion au sein des cours et stades, le tout orchestré par des plateformes de production et des éditeurs de jeux vidéo qui travaillent en collaboration avec la direction de l’innovation et le service des sports de France Télévisions.
David DOWLING, professeur à l’université de l’Iowa, s’est quant à lui intéressé au futur du journalisme digital, en étudiant ce que l’on appelle le « newsgame », en français jeux d’informations. Grâce à un gameplay immersif, saisir l’avènement de certaines situations géopolitiques trop difficiles à expliquer à travers un article ou une intervention audiovisuelle devient plus accessible, en témoigne notamment la plateforme « Reconstruire Haïti » qui démontre la difficulté de planification financière à laquelle est confronté le pays à la suite de son grand tremblement de terre en 2010.
Lavinia ROTILI (UCLouvain), Antonin DESCAMPE (UCLouvain) et Nathalie PIGNARD-CHEYNEL (Université de Neuchâtel) ont partagé le résultat d’une recherche sur la formation des étudiants en journalisme à l'innovation. Comment accompagner les futurs journalistes et les initier à la médiation technologique en constante évolution ? Pour cela, les écoles de journalisme doivent s’efforcer de suivre les évolutions narratives, dans un contexte extrêmement mouvant. Les jeunes sont perçus comme étant un vecteur de transformation des pratiques professionnelles. En revanche, selon les chercheurs qui ont réalisé une enquête en Belgique et en Suisse, ils ne sont pas en rupture totale avec les valeurs déontologiques de la profession, et cherchent d’autres façons pour équilibrer créativité, enjeu démocratique et contraintes économiques. Lors de la conclusion de cette journée, Camila MOREIRA CESAR de l’Université Sorbonne-Nouvelle a insisté sur l’importance de comprendre la manière dont les nouvelles formes de médiation technologique reconfigurent les groupes professionnels au sein des médias.
Des enjeux de temporalité, de présence et de récit
Angélica CABRERA TORRECILLA chercheuse à l’Université de Cardiff a analysé la manière dont le métavers changerait les paradigmes temporels et spatiaux en termes d’expérience chronothématique et anthropologique. Ainsi, l’intervenante s’est concentrée sur le premier genre de chronotope romanesque, ce que le philosophe Mikhail BAKHTIN appelle « le temps de l’aventure » : son schéma révèle une forte ressemblance avec la composition de l’espace et du temps qui favorise le métavers. Tout comme dans les romans d’aventures, le métavers a besoin d’une extension spatiale énorme et variée pour remplacer le monde physique, mais sa diversité est totalement abstraite. Dans le métavers, tous les lieux ont le caractère de scénarios transférables, parce qu’il importe peu que les événements se déroulent dans un espace ou un autre, ce qui importe est l’événement lui-même, l’événement aventureux, comme dirait BAKHTIN.
Victor FREITAS VICENTE, doctorant à Universidade de São Paulo, a abordé la relation entre presence effect et meaning effect. La presence effect se produit du fait de la haute qualité de création virtuelle offerte par la réalité virtuelle (son, couleur, texte, vibrations), ce qui crée un effet de présence pour l’utilisateur. Est-ce possible de produire un sens de présence dans des espaces virtuels ? V. FREITAS VICENTE a projeté un extrait d’une vidéo immersive d’une prison au Brésil (produit par Rede de JUSTIÇA CRIMINAL), pour illustrer la manière dont la réalité virtuelle et immersive correspond à une sorte de nouveau monde de production de la réalité, en particulier en termes de droits humains et de création artistique.
Michel MARCOCCIA et Hugo JEANNINGROS, chercheurs de l’université de Troyes, ont analysé la nécessité fondamentale d’une présentation économique efficace d’un point de vue communicationnel, pour influencer le comportement des individus. Toute innovation fait appel à la construction d’un imaginaire pour s’imposer en tant qu’indispensable aux utilisateurs. Dans le cas de la publicité, les communicants vont affronter divers obstacles et notamment la difficulté de définir ce qu’est le métavers. La campagne de début d’année (« le métavers est certes virtuel, mais son impact sera réel ») témoigne de la volonté de Meta, la maison-mère de Facebook, de présenter au plus grand nombre cette technologie en devenir.
Le métavers, objet de toutes les interrogations
Deux professeurs brésiliens de l’Université de São Paulo, Vitor BLOTTA et Gilson SCHWARTZ, ont consacré leur intervention aux effets psychologiques des nouvelles formes d’interactions sociales possibles au sein d’un vaste environnement virtuel comme celui du métavers. Ils évoquent la crise de la « légitimité de la légitimation » en s’appuyant sur les travaux de Jürgen HABERMAS, ainsi que sur les évènements de ces dernières décennies, tels les Printemps Arabes, surnommés les « révolutions Facebook ».
D’autres intervenants issus de divers filières créatives et créatrices ont également participé à cette journée, Martin SIGNOUX (Meta France), Gilles FREISSINIER (Arte), Didier WANG (ARCOM) et Julien PILLOT (Inseec Grande Ecole). La table-ronde, animé par le journaliste Romain GOULOUMES (20 minutes), nous apprend que le métavers est aujourd’hui en recherche de repères, notamment à propos de son interactivité, de son caractère immersif et social, mais aussi sa véritable configuration technologique : est-ce toujours un outil de la réalité virtuelle ? Ou bien est-ce devenu un outil d’une réalité mixte ? Dans tous les cas, le groupe de Mark Zuckerberg souhaite développer une « technologie (aussi) immersive que ce qu’internet a été à l’informatique ». Un projet ambitieux, mais toujours aussi flou, quatre ans après le lancement mondial d’Horizon Worlds, un jeu vidéo en réalité virtuelle.
Pour correctement se présenter au grand public afin d’être capté et compris par les potentiels utilisateurs et investisseurs, il convient de clarifier plusieurs situations : distinguer formellement métavers et lieu en ligne, dissocier le caractère purement virtuel du métavers car le terme englobe tout un champ technologique de la réalité augmentée, virtuelle et mixte, et enfin évoquer le risque d’échec du projet. Il faut également communiquer sur le caractère anxiogène que peut constituer le métavers. D.WANG et M. SIGNOUX soulignent la surveillance de l’ARCOM et l’intervention des organes législatifs nationaux et européens, notamment sur la protection des données et la propriété intellectuelle.
Enfin, lors de la dernière table ronde animé par Damien DOUANI, du podcast Les Eclaireurs du Numérique, il était question de discuter l’usage de la technologie par le journalisme. Izabela MOI (Agência Mural) et Nina SANTOS (*desiformante) ont partagé la réalité des Brésiliens, qui font appel aux services de messagerie pour communiquer et s’informer dans un contexte d’accès limité à Internet et aux technologies. La question de l’accessibilité financière est également sur toutes les lèvres, comme le précise Florent MAURIN, journaliste et président du studio ThePixelHunt. Contrairement à l’intelligence artificielle, le métavers nécessite des outils qui ne sont pour l’instant réservés qu’aux spécialistes et aux ménages au capital économique élevé. Mais il faut nuancer ce constat : les investissements importants déployés par une firme importante comme Meta permettent un prix moins élevé qu’escompté. Une position pionnière, allouée à des économies d’échelles devrait, à terme, permettre de dégager des marges et de faire diminuer le coût. Une plus grande accessibilité pourrait-elle permettre à tous de pouvoir se saisir de ces futures problématiques ? Il faudra certainement attendre encore une décennie, à moins que les enjeux environnementaux ne viennent encore retarder cette démocratisation espérée par les grandes firmes technologiques.