Retour sur la journée de l’infocom 2024 - La cartographie en tant qu’outil de communication et transformation sociale
Le 29 février 2024, l’Institut Français de Presse réunissait les étudiants en Sciences de l’Information et de la Communication dans le cadre d’une journée d’études, de formations et de rencontres. À travers des conférences et des ateliers, l’événement a mis en lumière les liens entre la cartographie numérique et les métiers de la communication. La conférence d’ouverture et les trois tables rondes qui l’ont constitué, ont abordé des sujets allant de la géopolitique à la sexualité, en passant par les jumeaux numériques et le jeu vidéo. L’événement a été aussi une opportunité de tisser des liens entre professionnels, chercheurs et étudiants de licence et de master.
La cartographie a été le thème choisi pour cette deuxième édition de la Journée de l’Infocom[1]. L’évolution des technologies de l’information, à partir des années 2000, a transformé la production, l’accessibilité et les usages des cartes, qui sont passées à un format interactif, virtuel, géolocalisé, en temps réel et en réseaux. Le grand public les utilise quotidiennement pour rationaliser des déplacements, formaliser un carnet d’adresses, s’orienter dans l’espace de la ville. La cartographie est aussi une manière de naviguer et d’explorer des contenus[2]. Nous voyons se multiplier les applications et plateformes qui mobilisent la géovisualisation[3] dans une multitude de dispositifs. Les interventions de la journée ont alors exploré la manière dont la cartographie numérique et la géovisualisation façonnent-elles notre manière de vivre ensemble et de distribuer l’information dans l’espace, de la marge au centre.
Deux ateliers professionnels ont pris place dans le programme. Le premier animé par Lionel Lavarec, Strategic Communication Manager chez Dassault Systèmes et docteur en Sciences de l’information et de la communication, s’intéressait aux jumeaux numériques et la cartographie 3D. Le second conduit par Sarah Verdier, Producer Manager chez GEDEON Media Group, était axé sur la gestion de projets multimédias en rapport avec la valorisation du patrimoine. Parallèlement aux ateliers, une discussion s’est tenue en compagnie de Lilia Hassaine et Bruno Lus, deux écrivains, journalistes et anciens étudiants de l’école de journalisme de l’Institut français de Presse.
Atelier “Jumeaux numériques, cartographie 3D et territoire”, avec Lionel Lavarec ©jeremypaolini
L'événement a aussi pour objectif de mettre à l’honneur les alumni de l’IFP, l’année précédente Paul Larrouturou avait été invité à partager son expérience avec les étudiants. Cette année, l’IFP a chaleureusement accueilli Lilia Assen à présenter son parcours à travers un dialogue avec Bruno Lus, ancien étudiant également de l’école de journalisme de l’IFP.
Discussion en compagnie de Bruno Lus et Lilia Hassaine, anciens étudiants de l’école de journalisme de l’IFP ©jeremypaolini
“Construire l’œil sur le monde”
En guise d’introduction, le Professeur Fabrice d’Almeida a retracé le rôle des cartes dans l’Histoire. L’exposé avait pour objectif de présenter les cartes non pas seulement comme des représentations géographiques du territoire, mais bien comme des témoins des dynamiques intellectuelles, politiques et philosophiques de notre société et cela à travers époques. Parmi les exemples les plus marquants cités, la méridienne de Paris en 1718, a été évoquée en tant que symbole du passage à la “professionnalisation de la cartographie”, c’est-à-dire à une représentation plus précise et fidèle des territoires. Cette évolution a été soutenue par des institutions académiques dédiées, telles que l'Académie Géographique Nationale Française au XVIIe siècle. Au fil du temps, les cartes n'ont pas seulement été des outils scientifiques ou des objets de décoration, elles ont également été utilisées à des fins militaires et idéologiques, comme en témoignent les cartes de propagande de la Première et de la Seconde Guerre mondiale. Ainsi, bien au-delà d’un usage moderne avec la géolocalisation, cette première présentation a souligné l'importance de saisir le rôle complexe (et parfois controversé) que consiste à représenter le territoire.
Conférence inaugurale « Cartographie, histoire et conflits », par Fabrice d’Almeida, Professeur d'histoire contemporaine et Vice-président de l'Université Paris-Panthéon-Assas ©jeremypaolin
L’amour est dans… les cartes
La première table ronde a interrogé l'impact des applications de rencontre géolocalisées. Les intervenants, sous les questions du maître de conférence à l’IFP et spécialiste de la gouvernance numérique Romain Badouard, ont analysé le caractère ambivalent de ces plateformes : lieu d’expression de l’intime et d’émancipation ainsi que de banalisation de la violence. Les trois intervenants Anthony Vincent (journaliste et animateur podcast), Claire Renier (responsable des relations publiques chez Happn) et Adrien Péquignot (chercheur-doctorant) ont souligné le fait que les applications géolocalisées ont radicalement transformé nos modes de socialisation et de recherche de partenaires. Alors que ces plateformes offrent une hyper-accessibilité aux rencontres et aux découvertes amoureuses, elles s'inscrivent paradoxalement dans un contexte de solitude croissante, exacerbée par des formes d'isolement. Cette apparente facilité à rencontrer de nouveaux partenaires coexiste ainsi avec un profond sentiment de solitude partagé. Par ailleurs, l'usage massif des applications de rencontres a suscité des réflexions sur la manière dont elles modélisent nos conceptions de l'amour et de la sexualité. Si elles offrent de nouvelles possibilités de connexion, elles
peuvent également rendre difficile la création de liens forts et durables. En effet, l'illusion de choix illimité peut parfois conduire à une recherche incessante du “partenaire idéal”, rendant l'acceptation de soi et des autres plus ou moins tolérante et tolérable. Durant cette intervention, le constat fait a été celui que les applications de rencontre aujourd'hui, en plus de faciliter des rencontres, sont également des catalyseurs de discriminations. Le design même des applications cadre les interactions et la présentation de soi, favorisant certains profils au détriment d'autres.
Anthony Vincent, Claire Renier, Romain Badouard et Adrien Péquignot lors de la table ronde « Quand le numérique redistribue les cartes de la sexualité » ©jeremypaolini
Gamifier, un impératif ?
Historiquement, l’un des premiers jeux vidéo a été réalisé grâce aux ressources de l'armée américaine[4]. Le jeu commence à exercer une influence significative avec la démocratisation d’Internet à la fin des années 90, mais c’est avec l'avènement des réseaux socionumériques et du Web 2.0 qu’il passe d’un usage récréatif à des fins plus sérieuses. Avec les plateformes, l’expérience utilisateur et le design sont rendus aussi intuitifs que possible, ce qui était déjà une préoccupation des concepteurs des jeux vidéo. La "gamification" signifie ainsi cette transposition d’un langage (narration, décor, construction des personnages, système de récompenses, navigation) vers d’autres domaines comme la sociabilité, l’éducation, le commerce, la médiation culturelle… Le journalisme et la communication n’ont pas été épargnés. Le gaming devient ainsi une manière de raconter des histoires et de donner au public une place active dans la réception des contenus. Les reportages The Uber Game (The Financial Times) ou Bury me, my Love (The Pixel Hunt) en témoignent. Outil pédagogique, notamment dans le domaine historique, le jeu vidéo permet aussi de redonner vie à des mondes antiques disparus tels que l’Egypte des Pharaons reconstituée via des sources historiques dans le jeu Assassin’s Creed Origins. Lors de cette discussion, Romain Gouloumes (journaliste chez 20 minutes), Pascaline Audrey (cofondatrice de Monumentales) et Douglas Alves (enseignant et journaliste) ont démontré que malgré le potentiel des jeux vidéo pour l'apprentissage et l’engagement, certains défis persistent. Une réflexion sur une éventuelle déontologie des jeux vidéo émerge, soulignant la nécessité d'une approche éthique dans ce domaine en pleine expansion.
Table ronde « Les cartes au centre du gameplay » avec Romain Gouloumes, Pascaline Audrey et Douglas Alves ©jeremypaolini
La cartographie numérique au service d’un usage social ?
La cartographie numérique ouvre la voie à des réponses durables aux enjeux de l’économie collective et solidaire. Cette troisième table ronde a réuni ainsi trois professionnels, Arnaud Desbonnets (Orange), Julien Goret (Garage Moderne) et Laurent Istria (Le bon samaritain), afin d’explorer la façon dont la cartographie s'avère un outil de lutte contre le cyberharcèlement chez les jeunes, d’entraide mais aussi de rapport aux institutions de l’État. Trois exemples ont été présentés. Tout d’abord, l’application Le bon samaritain qui permet de localiser des défibrillateurs en cas d'urgence médicale et si nécessaire mobiliser des volontaires formés aux gestes qui sauvent pour intervenir rapidement en cas d'arrêt cardiaque. Cette approche par le territoire et la proximité contribue significativement à sauver des vies et à alléger les services d'urgence. Puis, Garage moderne, un lieu social qui exploite des données mises à disposition par les institutions publiques afin de trouver des solutions innovantes pour relever des défis collectifs. Par exemple lors de la distribution d’une aide alimentaire en période de confinement. Enfin, le projet Safe Zone, un espace créé par Orange dans les mondes virtuels Roblox et Fortnite pour lutter contre (et sensibiliser sur) le cyberharcèlement, tout en offrant la possibilité aux utilisateurs (victimes ou témoins) d’alerter un service d’aide. La discussion a été modérée par Manon Cerdan, doctorante en Sciences de l’information et de la communication au CARISM.
Manon Cerdan, Arnaud Desbonnets, Julien Goret et Loïc Queruel lors de la table ronde « Les cartes au service de l’économie collective et solidaire » ©jeremypaolini
L'événement s'est conclu par un cocktail, offrant une atmosphère détendue pour poursuivre les échanges entre les intervenants, les étudiants présents ainsi que les anciens étudiants de l’IFP. Ce moment convivial a permis de consolider les relations établies au cours de la journée et d'approfondir les réflexions sur les diverses thématiques abordées, en lien avec les divers aspects de l’information-communication.
Cette deuxième édition de la Journée de l’Infocom a ainsi offert une plateforme unique pour explorer les croisement entre les médias, les diverses formes de communication et les nouvelles technologies. Le projet sera ainsi renouvelé l’an prochain et continuera d’être porté et réalisé par les étudiants de Master 2 en information-communication.
Notes de bas de page
- [1] 1 Cette deuxième édition de la journée de l’infocom a été organisée par les étudiants du Master 2 Médias,communication et villes numériques, sous la direction du Professeur Valérie Devillard et de Jaércio da Silva, post-doctorant à la Chaire Pluralisme Culturel et Éthiques du Numérique (PcEn)
- [2] Boris Mericskay, « La géovisualisation de données massives sur le Web : entre avancées technologiques etévolutions cartographiques », Mappemonde, 131 | 2021, mis en ligne le 08 juillet 2021, consulté le 08 mars2024. URL : http://journals.openedition.org/mappemonde/5595
- [3] Un ensemble de méthodes et d’outils permettant d’explorer, d’analyser, de synthétiser et de présentervisuellement de données massives (voir par exemple : Sarah Elwood and Agnieszka Leszczynski. « New SpatialMedia, New Knowledge Politics », Transactions of the Institute of British Geographers, 38/4 | 2013 : 544–59.
- [4] William Audureau, “Plongée en 1947, dans les balbutiements du jeu vidéo”, Le Monde, le 26 janvier 2017, en ligne https://www.lemonde.fr/pixels/article/2017/01/26/les-premiers-pas-du-jeu-video-pen-1947_5069659_4408996.html.